Au-delà du PIB : mieux mesurer pour vivre mieux

Par Sue Kendall-Bilicki, OCDE

« Mesurer ce qui est mesurable et rendre mesurable ce qui ne l’est pas », plaidait dès le XVIIème siècle Galilée, physicien, mathématicien et astronome souvent considéré comme le père de la science moderne. Mais comment appliquer cette maxime au bonheur et à la satisfaction que chacun éprouve à l’égard de la vie ? Tout d’abord, il y a presque autant de définitions du bonheur qu’il y a d’individus : si, pour Albert Einstein, le bonheur se résumait à « une table, une chaise, un bol de fruits et un violon », pour Jane Austen il résidait avant tout dans l’adéquation de ses revenus à ses besoins, pour Léon Tolstoï dans « le lien entre l’homme et la nature » et, pour Albert Schweitzer, dans « une bonne santé et une mauvaise mémoire ».

Ces définitions frappent par leur caractère subjectif, leur contenu éphémère et le fait qu’elles donnent peu d’indices sur ce qui permettrait à l’humanité dans son ensemble de connaître, de manière générale, une vie meilleure. Pendant une grande partie du XXème siècle, les économistes et les scientifiques se sont prudemment cantonnés à mesurer le niveau de vie en termes monétaires, évitant de s’aventurer dans les abîmes des émotions humaines. Le produit intérieur brut (PIB) mesurait donc la valeur des biens et des services produits par un pays, de l’orge aux ordinateurs, du cuivre au cobalt, et mesurait le progrès à l’aune du montant et de la vitesse de croissance du PIB d’une année sur l’autre, ainsi qu’à l’aune de sa progression dans les autres pays.

Au tournant de ce siècle, les insuffisances du PIB sont devenues de plus en plus manifestes, même en termes purement économiques ; à l’ère d’Internet et de la société de la connaissance, le succès économique provient de certains éléments non mesurables en termes de PIB, comme la santé et le niveau d’éducation des travailleurs, ou encore la durabilité de nos modes d’utilisation des ressources naturelles.

Cette remise en question a commencé à émerger avant même la crise financière et économique mondiale de 2008. Celle-ci a révélé de plus en plus clairement que les mesures traditionnelles faisaient l’impasse sur les conditions de vie matérielles et psychologiques de la plupart des citoyens. Nous avons ainsi pris conscience que dix années de forte croissance économique ont en réalité accru l’écart entre riches et pauvres dans de nombreux pays de l’OCDE, les personnes au bas de l’échelle se retrouvant, en termes relatifs, moins bien lotis qu’auparavant.

La croissance économique n’est pas une fin en soi : elle n’est souhaitable que si elle permet d’améliorer la vie de tous. Le PIB n’était certes pas la panacée pour mesurer l’effectivité des améliorations, mais que mesurer alors ? L’OCDE a commencé à étudier cette question il y a plus de dix ans avec son projet Mesurer le progrès des sociétés. Des travaux tels que ceux de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi en France et, plus récemment, l’Indice du bonheur au Royaume-Uni, contribuent à ce travail de redéfinition.

Le point culminant des travaux de l’OCDE a été le lancement en 2011 de L’Initiative pour une vie meilleure et de l’Indicateur du vivre mieux. Ce dernier permet de mesurer 11 composantes majeures de la vie quotidienne : revenu, travail, logement, environnement, liens sociaux, éducation, engagement civique, santé, satisfaction, sécurité et équilibre travail-vie.

Chaque utilisateur dispose au départ de ces 11 éléments au départ, mais peut les hiérarchiser à sa convenance pour connaître les performances de son pays dans les domaines qu’il estime prépondérants. Certains résultats sont assez surprenants. Bien qu’étant tous différents, nous privilégions tous en général les trois mêmes éléments, et ce quel que soit notre pays d’origine : dans plus de 180 pays dans lesquels les utilisateurs ont créé leur indicateur, la santé, l’éducation et la satisfaction à l’égard de la vie viennent régulièrement en tête des préoccupations.

Les utilisateurs nous ont également fait part de leur souhait de pouvoir comparer la vie des hommes et des femmes, celle des riches et celle des pauvres. Ils auraient également aimé pouvoir exprimer davantage de commentaires personnels sur l’Indicateur et détailler ce que signifie pour eux avoir une vie meilleure.

À présent, il est donc non seulement possible de connaître l’expérience d’un citoyen ordinaire de votre pays en termes de pollution atmosphérique et d’éducation, par exemple, mais aussi de savoir si cette expérience diffère entre hommes et femmes, et dans quelle mesure les choses varient selon que l’on se situe en haut et en bas de l’échelle économique et sociale.

En outre, l’Indicateur porte au-delà de la zone OCDE : le Brésil et la Russie figurent dans la version 2012, et d’autres pays suivront.

En 2012, l’Indicateur est devenu encore plus interactif : vous pourrez non seulement partager votre Indicateur personnalisé, mais aussi comparer votre vision d’une vie meilleure avec celle d’autres personnes, dans votre pays ou ailleurs. Vous pourrez également commenter votre Indicateur et suggérer de nouveaux éléments à y ajouter.

Au-delà des chiffres, l’intérêt de l’Indicateur du vivre mieux est d’aider à améliorer les politiques qui pourront à leur tour améliorer la vie des gens. Car selon les mots de Charlie Chaplin : « Nous voulons tous nous entraider. Les êtres humains sont ainsi. Nous voulons vivre de nos bonheurs mutuels, pas de nos misères. »

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