La justice sociale et ses ennemis

Auteur invité 

L’écart grandissant entre les riches et reste de la population menace les fondations mêmes de la Nouvelle-Zélande, selon Max Rashbrooke, qui appelle à une nouvelle concertation pour l’état-providence.

Au cours des trois dernières décennies, la Nouvelle-Zélande a connu une étonnante transformation, passant d’une société conservatrice, largement monoculturale et à l’économie très protégée, à un pays biculturel, moderne, possédant l’une des économies les plus ouvertes au monde.

Selon les indicateurs Sustainable Government Indicators (SGI), la Nouvelle-Zélande a su préserver de nombreuses forces au cours de cette grande mutation : son gouvernement est étonnamment transparent, sa presse en grande partie indépendante et juste, et ses élections relativement exemptes de corruption.  

Et pourtant, plusieurs éléments viennent assombrir le tableau. La Nouvelle-Zélande reste encore dépendante des exportations de produits primaires à faible valeur ajoutée ; la croissance de sa productivité est faible depuis les années 1990 ; et elle ne profite plus d’un des niveaux de vie les plus élevés au monde, comme c’était le cas dans les années 1960.

La Nouvelle-Zélande est également confrontée à des difficultés d’ordre social, notamment à un système scolaire fortement ségrégué, à un niveau embarrassant de maladies qui pourraient être facilement prévenues et qui sont généralement associées aux pays en voie de développement, à une qualité de logement faible, et à une performance particulièrement mauvaise en termes de santé et de violence à l’égard des enfants.

Selon un rapport de l’OCDE sur l’inégalité, beaucoup de ses difficultés, à la fois économiques et sociales, peuvent-être liées à l’augmentation la plus large au monde de l’écart entre les riches et le reste de la population qui a accompagné l’ouverture du marché dans les années 1980 et 1990. La Nouvelle-Zélande a une tradition égalitaire, mais depuis les années 1980, les revenus des plus riches ont plus que doublé, tandis que les 10% les moins bien lotis n’ont pas vu leur situation évoluer depuis 1987.

Le salaire horaire moyen, s’il avait augmenté au même rythme que la productivité depuis 1990, serait aujourd’hui de plus de $31 ; il n’est que de $24.43.

La démocratie pourrait être menacée

Cet écart entre les riches et le reste de la population a de nombreuses conséquences néfastes. Si La Nouvelle-Zélande est toujours bien placée sur l’échelle internationale en termes de performance en matière d’éducation, elle possède néanmoins l’un des écarts de réussite entre personnes aisées et défavorisées les plus importants. De plus, les familles défavorisées luttent pour donner à leurs enfants un environnement propice à l’apprentissage. En ce qui concerne la santé, les taux de maladies normalement associées aux pays en développement, telles que le rhumatisme articulaire aigu, ont flambé, bien qu’ils aient baissé dans la plupart des pays. Ceci est dû, en grande partie, aux maisons froides, humides et mal isolées dans lesquelles vivent de nombreuses familles démunies.

La Nouvelle-Zélande a également le sixième taux d’incarcération le plus élevé parmi les pays développés, ce qui est révélateur d’une société divisée.

Les minorités ethniques – les populations indigènes Maoris, et de nombreuses familles des Îles de l’Océan Pacifique – souffrent de manière disproportionnée de tous ces problèmes sociaux, étant les premières touchées par la pauvreté et l’accroissement des écarts de revenu.

En termes économiques, l’inégalité est un poids pour le pays de nombreux points de vue. Elle concentre les privations dans certains quartiers, créant ainsi des communautés largement coupées des opportunités économiques habituelles.

La Nouvelle-Zélande reste un pays relativement uni, mais il est légitime de craindre de cette situation qu’elle ne change. La hausse des inégalités de revenu mine la confiance et la cohésion sociales et la Nouvelle-Zélande risque de devenir un pays de plus en plus dysfonctionnel.

Quelles solutions?

La crise financière mondiale a renouvelé les préoccupations autour des inégalités de revenus, et de plus en plus de voix se sont élevées contre ce problème. Comme la plupart des pays, la Nouvelle-Zélande est confrontée à plusieurs choix.

Elle pourrait suivre les prescriptions de l’OCDE, qui s’articulent autour de l’amélioration des conditions de travail et des systèmes de taxation. Ceci nécessiterait un plus grand investissement dans le marché du travail et des programmes de formation (pour lesquels les systèmes scandinaves pourraient servir d’exemple), et le renforcement de la règlementation du travail afin que le travail à mi-temps, occasionnel et informel soit aussi protégé que les autre formes d’emploi plus classiques.

Une approche plus radicale attaquerait à la fois la sous-performance économique et l’inégalité des revenus par une refonte du monde du travail. De nombreux succès économiques – comme par exemple l’Allemagne et les pays scandinaves – sont fondés sur des systèmes qui donnent aux employés un plus grand rôle dans la gestion de leurs entreprises, que ce soit à travers la négociation centralisée, les comités d’entreprise ou d’autres moyens de porter la « voix du salariat ». En développant une approche similaire, la Nouvelle-Zélande pourrait placer des représentants du personnel aux conseils d’administration et, en particulier, aux comités d’équité salariale.

Ces mécanismes imposeraient un examen plus rigoureux des systèmes de rémunération et une distribution plus juste des revenus. Ils augmenteraient également notre performance économique. Un large ensemble d’indicateurs internationaux montre que les compagnies ayant implanté ce genre de mécanismes ont de meilleurs résultats que leurs concurrents.

Un nouvel accord pour l’état providence  

Ces deux approches – l’investissement dans les travailleurs défendu par l’OCDE et l’important engagement au sein du lieu de travail – pourraient être complétées par un nouvel accord pour l’état providence. L’histoire récente de la Nouvelle-Zélande a été marquée par une approche de plus en plus punitive envers les bénéficiaires. 

Une approche plus humaine – et en fin de compte plus productive – serait d’investir dans ces bénéficiaires, en augmentant l’aide leur permettant de mieux s’intégrer à la société, et en investissant en parallèle dans des programmes de formation et de placement professionnel, afin de lutter contre le phénomène de sous-qualification qui les empêche d’intégrer le marché du travail et de l’emploi.

La Nouvelle-Zélande a la chance de posséder une base solide pour gérer ces problématiques complexes. Mais un effort énorme et concerté est néanmoins nécessaire afin de combattre les effets insidieux d’une inégalité croissante – sans sacrifier les gains réels qui ont été accomplis au cours des 30 dernières années.

 

Max Rashbrooke est un journaliste et auteur travaillant à Wellington, en Nouvelle-Zélande, où il écrit sur la politique, la finance et les questions sociales. Il s’agit d’une version abrégée d’un article écrit pour SGI News. Vous pourrez trouver la version intégrale sur ce lien

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